L'Art
imite la nature
paraît-il... L'art entendu comme toute chose produite par l'homme
découle ainsi d'une imitation et force est de constater que nous
avons en effet su emprunter ça et là de quoi parfaire notre
humanité.
Ne
pas se contenter de ce que cette fameuse nature nous avait donné.
Nos
avions ont des ailes comme celles des oiseaux que nous voyons
s'élever dans le ciel alors que nous étions condamnés à rester
sur le sol.
La
faune et la flore nous ont appris beaucoup de choses dont l'art du
paraître, nous ont donné le goût du travestissement, nous qui
n'avons ni plumes, ni écailles et pas de crinière pour nos
patriarches.
Heureusement
que nous avons su emprunter, peut-être que c'est la chose que nous
savons le mieux faire, nous avons vu les reflets qui donnent
l'impression de ciels renversés, nous avons alors compris la
symétrie dans le miroir des lacs et nous avons saisi l'anarchie dans
la fantaisie des mauvaises herbes, le vertige dans les falaises
abruptes qui coupent leur ligne sans prévenir.
Autant
d'emprunts pour inventer l'art, l'art du camouflage grâce aux
grenouilles qui ont la couleur de la vase ou des plantes d'eau, l'art
des calligraphies dans les lignes du pelage des tigres, toutes ces
poupées-gigognes, tous ces emboîtements nous ont appris la
multiplicité – la dissolution de l'infiniment petit dans
l'infiniment grand.
Oui
nous avons su observer, nous avons su regarder les couleurs
éclatantes de certains papillons, qui préfèrent la parade
amoureuse à la discrétion de la survie, regarder les feuilles qui
ont une teinte pour chaque saison, les arbres qui ont une silhouette
en hiver, une autre en été, alors que nous sommes si terriblement
semblables, la même peau, la même figure.
Nous
nous transformons, nous soulignons nos yeux de khôl pour « donne(r)
à l’œil une apparence plus décidée de fenêtre ouverte sur
l'infini »1
disait Baudelaire. Nous
nous maquillons pour être moins hommes et plus masques, images
cyclopéennes, antiques. Inventer
un paysage autre sur nos visages, une humanité non réduite à ce
petit camaïeu de couleurs que nous osons appeler différence,
où est l'homme-chat, l'homme-tige, l'homme-liane, l'homme qui sera
magie, fumée ou brouillard ?
Mais
saurions-nous nous contenter d'être des imitateurs, aussi virtuoses
et savants soient-ils ? Ou n'y a-t-il pas des correspondances
que la nature même n'a pas su inventer, des alliages qu'elle n'a pas
su fomenter ?
Cette
possibilité de déranger l’œil, de troubler la voix, l’ouïe et
le toucher jusqu'à faire qu'un son devienne une couleur et une
matière un cri, tout cela nous permet une autre orchestration de ce
qu'on appelle communément le réel.
La
nature est ainsi bouleversée : « Manier
savamment une langue, c'est pratiquer une espèce de sorcellerie
évocatoire. »2
(Baudelaire).
Comment
parler dès lors de vérité ou de véracité quand le temps et
l'espace sont mis sens dessus-dessous, jusqu'à troubler nos sens et
notre intelligence afin d'atteindre une autre manière d'être au
monde ?
A
la poésie alors de re-brasser les cartes du monde, de faire feu de
tous les symboles et les mystères, de combiner d'autres
hiéroglyphes, de créer des pays inexplorés, comme ceux de
Michaux :
« Icebergs,
sans garde-fou, sans ceinture, où de vieux cormorans abattus et les
âmes des matelots morts récemment viennent s'accouder aux nuits
enchanteresses de l`hyperboréal.
Icebergs, Icebergs, cathédrales sans religion de l'hiver éternel, enrobés dans la calotte glaciaire de la planète Terre. Combien hauts, combien purs sont tes bords enfantés par le froid.
Icebergs, Icebergs, dos du Nord-Atlantique, augustes Bouddhas gelés sur des mers incontemplées. Phares scintillants de la Mort sans issue, le cri éperdu du silence dure des siècles.
Icebergs, Icebergs, Solitaires sans besoin, des pays bouchés, distants, et libres de vermine. Parents des îles, parents des sources, comme je vous vois, comme vous m'êtes familiers... »
Que la nature imite – si elle le peut - un si bel
art...
1Baudelaire,
écrits sur l'art
2Baudelaire,
écrits sur la littérature
Chronique écrite dans le cadre du festival Regards Croisés du comité de lecture Troisième Bureau en mai 2014
Chronique écrite dans le cadre du festival Regards Croisés du comité de lecture Troisième Bureau en mai 2014