Surréalisme,
infra-réalisme, réalisme-magique, où que se tourne notre regard
sur les différents mouvements picturaux ou littéraires du siècle
dernier, le réalisme semble être la grande question qui agitait ces
artistes. Le théâtre a bien-sûr et peut-être plus que tout autre
été traversé par cette problématique, la mise en scène posant
doublement cette question. Et notre époque ne déroge pas à la
règle, si ce n'est qu'aujourd'hui l'authenticité
semble être le garant de la qualité. Comme tout bon produit AOC me
direz-vous. Il s'agit donc d'être « vrai », de dire la
vérité, celle du réel, sans que l'on sache bien ce qui se cache
sous ce mot. Mais on l'agite, voici un bel argument de vente, tel
spectacle dirait le réel, sans fard et sans chichis, le texte étant
issu de vrais témoignages, avec de vraies personnes.
« Le
monde comme si je n'étais pas là pour le dire. »1
ironisait Baudelaire au sujet de cette fureur d'authenticité qu'il
voyait dans les arts car bien sûr l'affaire n'est pas nouvelle.
Cet
engouement pour l'authentique relègue l'image et la représentation
dans la fable, en dédramatisant ainsi leur importance dans notre
société et dans notre histoire. Cela me semble à la fois triste et
naïf car c'est oublier ce que les images ont gravé dans nos
inconscients et nos âmes. « Une image,
ce n'est pas bien méchant. C'est pourtant la pire forme d'oppression
que l'homme ait inventée »2
disait Jean Cohen parlant de l'image des Algériens pervers et
corrompus véhiculée afin de justifier la colonisation. Combien
d'images avalons-nous chaque jour, images de l'amour, de la réussite,
du bien-être, comment ces images tentent-elles de nous influencer,
d'orienter notre désir, ne s'agit-il pas d'une lutte de tous les
instants ?
Le théâtre
– peut-être par le biais des personnages, des archétypes ou des
situations dont il joue peut être l'un des lieux de cette lutte
voire de cette bataille des images que Jean Genet mettait en scène
dans ses pièces. Dans sa pièce Les
Paravents, il montre
des lieutenants de l'armée française durant la guerre d'Algérie –
discutant de la beauté des soldats, qu'ils meurent en étant beaux,
peu importe l'issue de la guerre, la bataille se tiendra ailleurs,
peut-être dans les dorures des galons ou dans l'éclat des bottes.
Le lieutenant s'adressant à ses soldats : « Que
les profils se renvoient des profils et que l'image que vous offrirez
aux rebelles soit d'une si grande beauté, que leur image qu'ils ont
d'eux ne pourra pas résister. Vaincue. Elle tombera en morceaux.
Cassée... Ou comme la glace : fondue. Victoire sur l'ennemi :
morale. »3
Nier que
les images – les récits – les fables participent et surgissent
du réel autant que les documentaires, c'est refuser de mener
bataille. Ne pas inventer d'autres représentations, ne pas troubler
les clichés, ne pas chercher à « déchir(er)
les rires banania sur tous les murs de France »4,
ne pas répondre aux arguments publicitaires de l'authenticité par
la vérité de nos désirs, par le scandale de nos corps et de nos
imaginaires, c’est déserter les lambeaux mêmes de nos rêves.
2Cité
in Sidi Mohammed Barkat, Le corps d'exception :
les artifices du pouvoir colonial et la destruction de la vie
3Jean
Genêt, Les Paravents
4Léopold
Sédar Senghor,
Hosties
noires
Chronique écrite dans le cadre du festival Regards Croisés du comité de lecture Troisième Bureau en mai 2014